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L’IMPOSTURE

une tristesse pleine d’amertume, mais aussi d’une douceur inconnue, à laquelle on ne saurait rien comparer qu’une espèce de plainte tendre et déchirante, un appel venu de très loin, mais dont à travers l’espace l’oreille devine la puissance et l’ampleur, au seul accent. Et certes, il retentissait dans le cœur, il eût ébranlé le cœur le plus dur. La chair même y répondait par une sorte d’alanguissement, qui ressemblait à l’amour, qui était comme l’ombre de l’amour. Les larmes vinrent aux yeux de l’abbé Cénabre, ainsi qu’une eau qui perce à travers la pierre, et il en sentait l’humidité sur son visage, avec une extraordinaire angoisse. Il ne voulait pas de ces larmes, elles n’avaient pour lui aucun sens. Elles étaient le signe purement sensible, indéchiffrable, d’une présence contre laquelle il se sentait soulevé d’horreur. C’étaient comme des larmes versées en vain. La simple acceptation, l’abandon de la lutte inutile, le geste qui avoue la défaite, s’offre au vainqueur, cela seul eût ouvert la vraie source des pleurs, et il redoutait plus cette délivrance qu’aucun supplice. Il se méprisait, se haïssait dans sa détresse et dans sa honte, mais il ne pouvait, non ! il ne pouvait se prendre en pitié.

À ce mépris de lui-même, il se rattachait comme au seul point fixe dans l’universel naufrage. L’orgueil, dont la stratégie ténébreuse est la plus subtile et la plus forte, un moment menacé, faisait ainsi la part du feu, semblait abandonner quelque chose de lui-même, alors qu’il n’offrait à la misérable âme à l’agonie qu’une fausse et sacrilège image de la divine humilité. Car une puissante nature, jetée hors de la grâce, cherche son équilibre bien au delà de ce contentement de soi