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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

hier. Il m’a paru un peu trouble, néanmoins il embaume.

Les jours passent, passent… Qu’ils sont vides ! J’arrive encore à bout de ma besogne quotidienne mais je remets sans cesse au lendemain l’exécution du petit programme que je me suis tracé. Défaut de méthode, évidemment. Et que de temps je passe sur les routes ! Mon annexe la plus proche est à trois bons kilomètres, l’autre à cinq. Ma bicyclette ne me rend que peu de services, car je ne puis monter les côtes, à jeun surtout, sans d’horribles maux d’estomac. Cette paroisse si petite sur la carte !… Quand je pense que telle classe de vingt ou trente élèves, d’âge et de condition semblables, soumis à la même discipline, entraînés aux mêmes études n’est connue du maître qu’au cours du second trimestre — et encore !… Il me semble que ma vie, toutes les forces de ma vie vont se perdre dans le sable.

Mlle Louise assiste maintenant chaque jour à la Sainte Messe. Mais elle apparaît et disparaît si vite qu’il m’arrive de ne pas m’apercevoir de sa présence. Sans elle, l’église eût été vide.

Rencontré hier Séraphita en compagnie de M. Dumouchel. Le visage de cette petite me semble se transformer de jour en jour ; jadis si changeant, si mobile, je lui trouve maintenant une espèce de fixité, de dureté bien au-dessus de son âge. Tandis que je lui parlais, elle m’observait avec une attention si gênante que je n’ai pu m’empêcher de