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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

lence. J’y ai glissé d’un seul coup. Il s’est refermé sur moi.

En rouvrant les yeux, la mémoire m’est revenue aussitôt. Il m’a semblé que le jour se levait. C’était le reflet d’une lanterne sur le talus, en face de moi. Je voyais aussi une autre clarté, sur la gauche, dans les arbres, et j’ai reconnu, du premier coup d’œil, la maison des Dumouchel, à sa véranda ridicule. Ma soutane trempée collait à mon dos, j’étais seul.

On avait posé la lanterne tout près de ma tête — une de ces lanternes d’écurie, au pétrole, qui donnent plus de fumée que de lumière. Un gros insecte tournait autour. J’ai essayé de me lever, sans y réussir, mais je me sentais quelques forces, je ne souffrais plus. Enfin, je me suis trouvé assis. De l’autre côté de la haie j’entendais geindre et souffler les bestiaux. Je me rendais parfaitement compte que même au cas je parviendrais à me mettre debout, il était trop tard pour fuir, qu’il ne me restait plus qu’à supporter patiemment la curiosité de celui qui m’avait découvert, qui reviendrait bientôt chercher sa lanterne. Hélas, pensais-je, la maison des Dumouchel est bien la dernière auprès de laquelle j’aurais souhaité qu’on me ramassât. J’ai pu me relever sur les genoux, et nous nous sommes trouvés brusquement face à face. Debout elle n’était pas plus haute que moi. Sa maigre petite figure n’était guère moins rusée que d’habitude, mais ce que j’y remarquai d’abord était un air de gravité douce, un peu solen-