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INSTRUMENTS À CORDES PINCÉES.
LA HARPE

Cet instrument est essentiellement antichromatique, c’est à dire que les successions par demi tons lui sont à peu près interdites. Nous en donnerons tout à l’heure la raison.

Son étendue n’était autrefois que de cinq octaves et une sixte.

EXEMPLE.

\relative c,, {
  \override Staff.TimeSignature #'stencil = ##f
  \clef bass
  \cadenzaOn
  f g as bes c d es
  f g as bes c d es
  f g as bes c d es
  \clef treble
  f g as bes c d es
  f g as bes c d
  \ottava #1
  es f g as bes c d
  \bar "||"
}

On voit que cette gamme appartient au ton de Mi  ; c’est en effet dans ce ton que toutes les harpes étaient accordées, quand l’habile facteur Erard, cherchant à remédier aux inconvénients de ce systême, imagina le mécanisme qui les fit disparaître et proposa l’accord de la harpe en Ut , que presque tous les harpistes ont adopté aujourd’hui.

Les intervalles chromatiques ne se peuvent obtenir sur l’ancienne Harpe qu’au moyen de sept pédales, que l’exécutant fait mouvoir et peut fixer l’une après l’autre avec le pied, et dont chacune hausse d’un demi-ton la note à laquelle son mécanisme s’applique, mais dans toute l’étendue de la gamme et non pas isolément. Ainsi la pédale Fa ne peut diéser un Fa, sans que tous les autres Fa, dans l’échelle entière, ne soient diésés du même coup. Il en résulte d’abord que toute gamme chromatique (à moins d’un mouvement excessivement lent) toute progression d’accords procédant chromatiquement ou appartenant à des tonalités différentes, la plupart des broderies contenant des appogiatures altérées ou des petites notes chromatiques, sont impraticables ou, par exception, excessivement difficiles et d’un détestable effet. Il y a même sur la harpe en Mi quatre accords de septième majeure et quatre accords de neuvième mineure, totalement impossibles et qu’on doit en conséquence bannir de son répertoire harmonique ; ce sont les suivants :


\relative c' {
  \override Staff.TimeSignature #'stencil = ##f
  \key es \major
  <ces es ges bes>1
  <bes d f a ces>
  <des f as c>
  <c e g bes des>
  <fes as! ces es!>
  <es g bes des fes>
  <ges bes des f>
  <f a c es ges>
  \bar "||"
}

Il est évident en effet que tout accord dans lequel Ut bémol doit être entendu en même temps que Si bémol n’est pas possible, puisque, (la harpe se trouvant accordée en Mi bémol et les pédales ne haussant chaque corde que d’un demi-ton) on ne peut produire l’Ut bémol qu’en prenant la pédale du Si qui détruit aussitôt tous les Si de la gamme. Il en est de même pour le Ré bémol qui résulte de l’exhaussement de l’Ut naturel, et du Sol bémol produit par l’exhaussement du Fa.

Le mécanisme des Pédales de la harpe en Mi bémol ne pouvant que rendre à leur état naturel les trois notes bémolisées (Si, Mi, La.) et diéser quatre autres notes (Fa, Ut, Sol, Ré.) il s’en suit que cette harpe ne peut être établie que dans huit tons, savoir Mi , Si , Fa, Ut, Sol, , La, Mi.

Les tons bémolisés, ne sont produits que par des enharmoniques et en prenant et quittant aussitôt une ou plusieurs Pédales. En La bémol par exemple, le Ré bémol n’est autre que l’enharmonique de l’Ut dièze, et l’exécutant doit quitter cette pédale Ut aussitôt après l’avoir prise, autrement il ne pourrait plus faire entendre l’Ut naturel, tierce majeure du ton dans lequel il joue ; il faut en outre qu’il saute une corde ( ) en montant diatoniquement ce qui est tellement incommode qu’on peut considérer l’usage de pareilles gammes comme impraticable.


\relative c'' {
  \override Staff.TimeSignature #'stencil = ##f
  \key as \major
  \textLengthOn
  \cadenzaOn
  as2 bes c2_\markup{\tiny\left-column{"Sur" "la même" "corde."}} des^\markup{\center-align{(Ut\sharp)}}
  \bar "|"
  d1_\markup{\tiny\center-column{"Sautez le" \line{ré \natural}}}
  \bar "|"
  es2 f g as
  \bar "||"
}

Cet inconvénient et cette difficulté deviennent doubles en Ré bémol et en Sol bémol, tons à peu près inabordables excepté pour quelques accords. Encore le ton de Sol bémol, comme celui d’Ut bémol, présente une nouvelle difficulté, celle