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Ces expressions Bon, Mauvais, Passable ne s’appliquent point ici à la difficulté d’exécution des phrases même qui servent d’exemples, mais seulement à celle du ton dans lequel elles sont écrites. En outre il faut dire que les tons assez difficiles, comme La majeur et Mi majeur, ne sont pas à éviter absolument, pour des phrases simples et d’un mouvement lent.

On voit qu’indépendamment du caractère particulier de leur timbre, dont nous allons parler, ces différentes Clarinettes sont fort utiles pour la facilité de l’exécution. On doit regretter qu’il n’y en ait pas d’autres encore. Par exemple, les tons de Si, de , qu’on trouve rarement, pourraient dans une foule d’occasions offrir de grandes ressources aux compositeurs.

La petite Clarinette en Fa haut, qu’on employait beaucoup autrefois dans les musiques militaires, a été à peu près abandonnée pour celle en Mi bémol qu’on trouve, avec raison, moins criarde et suffisante pour les tonalités employées ordinairement dans les morceaux d’instruments à vent. Les Clarinettes ont d’autant moins de pureté, de douceur et de distinction que leur ton s’éloigne davantage, en dessus du ton de Si bémol, qui est l’un des plus beaux de cet instrument. La Clarinette en Ut est plus dure que celle en Si bémol, sa voix a beaucoup moins de charme. La petite Clarinette en Mi bémol a des sons perçants qu’il est très aisé de rendre ignobles, à partir du La au-dessus des portées. Aussi l’a-t-on employée, dans une symphonie moderne, pour parodier, dégrader, encanailler (qu’on me passe le mot) une mélodie ; le sens dramatique de l’œuvre exigeant cette étrange transformation. La petite Clarinette en Fa a une tendance encore plus prononcée dans le même sens. Au fur et à mesure que l’instrument devient plus grave, au contraire, il produit des sons plus voilés, plus mélancoliques.

En général les exécutants ne doivent se servir que des instruments indiqués par l’auteur. Chacun de ces instruments ayant un caractère particulier, il est au moins probable que le compositeur a choisi l’un plutôt que l’autre, par préférence pour tel ou tel timbre, et non par caprice. S’obstiner, comme le font certains virtuoses, à tout jouer (en transposant) sur la Clarinette en Si bémol, est donc, à de rares exceptions près, une infidélité d’exécution. Et cette infidélité deviendra bien plus manifeste et plus coupable s’il s’agit par exemple, de la Clarinette en La. Il se peut, en effet, que le compositeur ne l’ait écrite que pour avoir son Mi grave, qui donne l’Ut dièze.

EXEMPLE. Clarinette en LA.

\relative c {
  \override Staff.TimeSignature #'stencil = ##f
  e1
  \bar "||"
}
Son réel.

\relative c {
  \override Staff.TimeSignature #'stencil = ##f
  cis1
  \bar "||"
}

Comment fera alors le joueur de Clarinette en Si dont le Mi grave ne donne que le

EXEMPLE. Clarinette en SI.

\relative c {
  \override Staff.TimeSignature #'stencil = ##f
  e1
  \bar "||"
}
Son réel.

\relative c {
  \override Staff.TimeSignature #'stencil = ##f
  d1
  \bar "||"
}

Il transposera donc la note à l’octave ! et détruira ainsi l’effet voulu par l’auteur !… c’est intolérable.

Nous avons dit que la Clarinette avait quatre registres ; chacun de ces registres a aussi un timbre distinct : celui du registre aigu a quelque chose de déchirant qu’on ne doit employer que dans les fortissimo de l’orchestre (quelques notes très hautes peuvent cependant être soutenues Piano quand l’attaque du son a été préparée convenablement) ou dans les traits hardis d’un solo brillant, ceux du médium et du chalumeau qui conviennent aux mélodies, aux arpèges et aux traits ; et celui du grave, propre, surtout dans les tenues à ces effets froidement menaçants, à ces noirs accents de rage immobile dont Weber fut l’ingénieux inventeur. Quand on veut employer d’une façon saillante les cris perçants des notes sur-aiguës, et si l’on redoute pour l’exécutant la brusque attaque de la note dangereuse, il faut cacher cette entrée de la Clarinette sous un accord fort de toute la masse de l’orchestre, qui s’interrompant dès que le son a eu le temps de se bien poser et de s’épurer, la laisse alors sans danger à découvert.