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une telle comparaison. La chanson de Beethoven charme par sa rondeur joviale, dont une modulation et un changement de mesure survenant brusquement dans le milieu altèrent un peu la vigoureuse simplicité ; mais celle de Gaveaux, d’un style moins relevé, n’en est pas moins intéressante par sa franchise mélodique, l’excellente diction des paroles et une orchestration piquante.

Au trio suivant, Beethoven commence à employer la grande forme, les vastes développements, l’instrumentation plus riche, plus agitée ; on sent qu’on entre dans le drame ; la passion se décèle par de lointains éclairs.

Puis vient une marche dont la mélodie et les modulations sont des plus heureuses, bien que la couleur générale en paraisse triste, comme peut l’être du reste une marche de soldats gardiens d’une prison. Les deux premières notes du thème, frappées sourdement par les timbales et un pizzicato des basses, contribuent tout d’abord à l’assombrir. Ni cette marche ni le trio qui la précède n’ont de pendant dans l’opéra de Gaveaux. Il en est de même de beaucoup d’autres morceaux contenus dans la riche partition de Beethoven.

L’air de Pizarre est de ce nombre. Il n’obtient pas à Paris un seul applaudissement ; nous demandons néanmoins la permission de le traiter de chef-d’œuvre. Dans ce morceau terrible, la joie féroce d’un scélérat prêt à satisfaire sa vengeance est peinte avec la plus effrayante vérité. Beethoven dans son opéra a parfaitement observé le précepte de Gluck qui recommande de n’employer les instruments qu’en raison du degré d’intérêt et de passion. Ici, pour la première fois, tout l’orchestre se déchaîne ; il débute avec fracas par l’accord de neuvième mineure de ré mineur ; tout frémit, tout s’agite, crie et frappe ; la partie vocale n’est, il est vrai, qu’une déclamation notée, mais quelle déclamation ! et combien son accent, toujours vrai, acquiert de sauvage intensité quand, après avoir établi le mode majeur, l’auteur fait intervenir le chœur des