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chestre de son temps, avait été prié de la diriger. Mais l’auditoire resta froid, sérieux, morne (very grave) pour employer encore un jeu de mots qui au moins est anglais. Et Obéron ne fit pas d’argent, et l’entrepreneur ne put couvrir ses frais ; il avait obtenu la belle partition et fait une mauvaise affaire. Qui peut savoir ce qui se passa alors dans l’âme de l’artiste, sûr de la valeur de son œuvre ?… Afin de le ranimer par un succès qu’ils croyaient facile de lui faire obtenir, ses amis lui persuadèrent de donner un concert, pour lequel Weber composa une grande cantate intitulée, si je ne me trompe, le Triomphe de la paix. Le concert eut lieu, la cantate fut exécutée devant une salle presque vide, et la recette n’égala pas les dépenses de la soirée…

Weber, à son arrivée à Londres, avait accepté l’hospitalité de l’honorable maître de chapelle sir George Smart. Je ne sais si ce fut en rentrant de ce triste concert ou quelques jours plus tard seulement ; mais un soir, après avoir causé une heure avec son hôte, Weber, accablé, se mit au lit, où, le lendemain, sir George le trouva déjà froid, la tête appuyée sur l’une de ses mains, mort d’une rupture du cœur.

Aussitôt on annonça une représentation solennelle d’Obéron ; toutes les loges furent rapidement louées ; les spectateurs se présentèrent tous en deuil ; la salle fut pleine d’un public recueilli, dont l’attitude, exprimant des regrets sincères, semblait dire : « Nous sommes désolés de n’avoir pas compris son œuvre, mais nous savons que c’était un homme (He was a man, we shall not look upon his like again) et que nous ne reverrons pas son pareil !…… »

Peu de mois après, l’ouverture d’Obéron fut publiée ; le théâtre de l’Odéon de Paris, qui avait fait fortune avec le Freyschütz désossé et écorché, fut curieux de connaître au moins un morceau du dernier ouvrage de Weber. Le directeur ordonna la mise à l’étude de cette merveille symphonique. L’orchestre n’y vit qu’un tissu de bizarreries, de duretés et de non-sens, et