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Ce n’est pas vous faire une offense
Que de vous conjurer de hâter mon trépas.

Dans la deuxième version musicale, la prière devient plus instante, l’imploration plus vive ; le vers :

Ce n’est pas vous faire une offense,


est dit avec une sorte de timidité, puis la voix s’élève de plus en plus sur les mots : que de vous conjurer, et retombe solennellement pour la cadence finale sur ceux : de hâter mon trépas.

Il faudrait être un grand écrivain, un poëte au cœur brûlant, pour décrire dignement un tel chef-d’œuvre de grâce éplorée, un tel modèle de beauté antique, un si frappant exemple de philosophie musicale unie à tant de sensibilité et de noblesse. Et encore le plus grand des poëtes y parviendrait-il ? Une pareille musique ne se décrit pas ; il faut l’entendre et la sentir. De ceux qui ne la sentent pas ou qui la sentent peu… que dire ?… ils sont très-malheureux, on doit les plaindre.

Il en est de même du grand air d’Admète :

Alceste, au nom des dieux !


car si l’on a justement appelé Beethoven un infatigable Titan, Gluck, dans un autre genre, a tout autant de droits à ce nom. Quand il s’agit d’exprimer la passion, de faire parler le cœur humain, son éloquence ne tarit pas ; sa pensée et sa force de conception, à la fin de ses œuvres, ont autant de puissance qu’au début. Il va jusqu’à ce que la terre lui manque. Seulement, en écoutant Beethoven, on sent que c’est lui qui chante ; en écoutant Gluck, on croit reconnaître que ce sont ses personnages, dont il n’a fait que noter les accents. Après tant de douleurs exprimées, il trouve encore de nouvelles formes mélodiques, de nouvelles combinaisons harmoniques, de nouveaux rhythmes, de nouveaux cris du cœur, de nouveaux effets d’orchestre, pour ce grand air d’Admète. On y remarque même une audacieuse mo-