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sive, qu’on ne pouvait méconnaître dans la mélodie, dans l’harmonie et aussi dans l’instrumentation, ne serait pas employée à produire des œuvres raisonnables, émouvantes, dignes enfin de l’intérêt d’un auditoire sérieux et des gens de goût. Sans exclure la sensation, il voulut que la part fût faite au sentiment ; sans considérer la poésie comme l’objet principal de l’opéra, il pensa qu’elle devait être unie à la musique, de telle sorte qu’il ne pût résulter de cette union qu’un seul tout dont la force expressive serait incomparablement plus grande que celle de l’un ou de l’autre art pris isolément. Un poëte italien qui se trouvait alors à Vienne et avec lequel il eut de fréquents entretiens à ce sujet, entrant avec chaleur et conviction dans ses vues, l’aida à faire le plan de cette indispensable réforme et devint, comme nous le verrons, son intelligent collaborateur.

Il ne faut pas croire pourtant que Gluck se soit avisé tout d’un coup pour Alceste d’introduire sur la scène la musique expressive et dramatique. Orfeo, qui précéda Alceste, prouve le contraire. Depuis longtemps d’ailleurs il avait préludé à cette hardiesse ; son instinct l’y poussait, et déjà, en maint endroit de ses partitions italiennes, écrites en Italie pour des Italiens, il avait osé produire des morceaux du style le plus sévère, le plus expressif et le plus noblement beau. La preuve qu’ils méritent ces éloges, c’est que plus tard il les a lui-même trouvés dignes de prendre place dans ses plus illustres partitions françaises, pour lesquelles on croit à tort qu’ils furent écrits, tant ils ont été adaptés avec soin à de nouvelles scènes et mis en œuvre avec sagacité.

L’air de Telemaco : « Umbra mesta del padre » dans l’opéra italien de ce nom, a été transformé en un duo aujourd’hui fameux de l’Armide : « Esprits de haine et de rage. » On peut citer encore parmi les morceaux de cette partition italienne, qu’il a en quelque sorte dépouillée au bénéfice de ses opéras français, un air d’Ulysse qui sert de thème à l’intro-