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parler à quelque esclave de Lydie ou de Phrygie ?… Quand la nature et la Grèce ont-elles imposé aux pères la loi de mourir pour leurs enfants ? Vous m’accusez de lâcheté ; et toutefois, lâche vous-même, vous n’avez pas rougi d’employer tous vos efforts pour prolonger vos jours au delà du terme fatal en sacrifiant votre épouse. L’heureux artifice pour éluder maintenant le trépas, que celui de persuader à son épouse qu’elle doit mourir pour son époux ! »

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Puis un dialogue rapide, précipité, où les interlocuteurs s’accablent de mots atroces comme ceux-ci.

ADMÈTE.

« La vieillesse a perdu toute honte.

PHÉRÈS.

« Épousez plusieurs femmes pour multiplier vos années !

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ADMÈTE.

« Allez, vous et votre indigne femme, allez traîner une misérable vieillesse sans enfants, quoique je vive encore ; voilà le prix de votre lâcheté. Je ne veux plus rien de commun avec vous, pas même la demeure, et que ne puis-je avec bienséance vous interdire votre palais ! Je ne rougirais pas de le faire en public. »

On ne peut lire cela sans frémir. Shakspeare n’est pas allé plus loin. Ces deux poëtes semblent avoir connu des replis inexplorés du cœur humain, sombres cavernes dont les esprits ordinaires n’osent sonder la noire profondeur, où seul le génie aux prunelles ardentes pénètre sans crainte, pour en ressortir traînant au grand jour des monstres invraisemblables. Invraisemblables, et trop réels ! car où sont les hommes qui refuseront le sacrifice de la femme même la plus aimée se dévouant pour leur conserver la vie ? Ils existent, sans doute ; mais à coup sûr ils sont aussi rares que les femmes capables d’un pareil dévouement. Chacun de nous peut dire : Il me semble que je suis de