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III. — CONSÉQUENCES ET APPLICATIONS

85. J’en ai fini avec les objections, que j’ai tâché de présenter le plus clairement possible et avec tout le poids, toute la force que je pouvais leur donner. Nous procéderons maintenant à l’exposition de notre doctrine envisagée dans ses conséquences. Quelques-unes paraissent à première vue : celle-ci, par exemple, que nombre de questions difficiles et obscures, sur lesquelles on a beaucoup spéculé en pure perte, sont entièrement bannies de la philosophie. « Si une substance corporelle peut penser » ; « la Matière est divisible à l’infini » ; « comment elle opère sur l’esprit » ; ces problèmes et d’autres du même genre ont de tout temps amusé considérablement les philosophes. Mais comme ils dépendent de l’existence de la Matière, il n’y a plus place pour eux dans nos principes. Il y a bien d’autres avantages encore à en tirer, soit pour la religion, soit pour les sciences, et dont la preuve est aisée d’après nos prémisses ; mais c’est ce qu’on verra plus clairement dans ce qui suit.

86. Il résulte des principes qu’on a établis que la connaissance humaine peut naturellement se classer sous deux chefs : les idées, les esprits. Je les examinerai successivement.

Premièrement, les idées ou choses non pensantes. Notre connaissance à cet endroit a été jetée dans l’obscurité et la confusion, et nous sommes tombés dans de très dangereuses erreurs, pour avoir supposé une double existence des objets des sens : l’une intelligible, ou dans l’esprit ; l’autre réelle et hors de l’esprit. Ainsi l’on a cru que les choses non pensantes avaient une existence naturelle propre, et distincte du fait qu’elles sont perçues par les esprits (spirits). Cette supposition, qui procède, je l’ai montré, si je ne me trompe, de la notion la plus absurde et la plus dénuée de fondement, est la vraie racine du scepticisme. Car aussi longtemps que les hommes pensent que les choses réelles existent hors de l’esprit, et que leur connaissance n’arrive à être réelle que pour