Page:Berkeley - Les Principes de la connaissance humaine, trad. Renouvier.djvu/122

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
100
BERKELEY

des puissances et actes de l’esprit, et les considérer séparément soit de l’esprit ou être spirituel lui-même, soit de leurs objets et de leurs effets respectifs. De là sont provenus des termes obscurs ou ambigus en grand nombre, qu’on présumait représenter des notions abstraites, et qui se sont introduits dans la métaphysique et dans la morale ; et ces termes ont causé beaucoup de confusion et des disputes infinies parmi les savants.

144. Mais rien ne semble avoir plus poussé les hommes à s’engager dans la controverse et l’erreur, au sujet de la nature et des opérations de l’esprit, que l’habitude de parler de ces choses en termes empruntés aux idées sensibles. Par exemple, on appelle la volonté un mouvement de l’âme ; cette expression suggère la pensée que l’esprit de l’homme est comme une balle en mouvement, poussée et déterminée par les objets des sens aussi nécessairement que celle-ci l’est par le choc d’une raquette. De là des difficultés sans fin et des erreurs de dangereuse conséquence pour la morale. Tout s’éclaircirait, je n’en doute pas, et la vérité apparaîtrait, simple, uniforme, d’accord avec elle-même, si les philosophes prenaient seulement le parti [de renoncer à certains préjugés et à des manières de parler communes], de rentrer en eux-mêmes et d’examiner attentivement le sens qu’ils donnent aux mots. [Mais les questions soulevées ici demanderaient à être traitées d’une manière plus particulière que ne le comporte mon plan.]

145. D’après ce que nous avons dit, il est clair que nous ne pouvons connaître l’existence des autres esprits autrement que par leurs opérations, ou par les idées qu’ils excitent en nous. Je perçois différents mouvements, changements et combinaisons d’idées, par où je suis informé de l’existence de certains agents particuliers, semblables à moi, qui vont avec (which accompany them) et qui concourent à leur production. La connaissance que j’ai des autres esprits n’est donc pas immédiate, étant une connaissance de mes idées ; elle dépend de l’intervention de ces idées que je rapporte, en tant qu’effets ou signes concomitants, à des agents ou esprits distincts de moi-même.

146. Mais quoiqu’il y ait des choses qui portent en nous cette conviction que les agents humains entrent dans l’acte