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LES PRINCIPES DE LA CONNAISSANCE HUMAINE

dans la nature ; si on soulève, au contraire, beaucoup d’insurmontables difficultés ; si la supposition de la Matière est précaire et ne peut invoquer même une seule raison en sa faveur ; si ses conséquences ne supportent pas la lumière de l’examen et de la libre recherche, mais se dérobent sous l’obscurité de ce prétexte général « que des infinis sont incompréhensibles » ; si, d’ailleurs, écarter la croyance à cette matière, ce n’est pas s’exposer à la moindre conséquence fâcheuse ; si non seulement rien ne nous fait faute alors dans le monde, mais que tout se conçoive aussi bien et même mieux sans elle ; si enfin les sceptiques et les athées sont réduits pour jamais au silence, grâce à cette résolution de ne recevoir plus que des esprits (spirits) et des idées, un tel système des choses, parfaitement conforme qu’il est et à la Raison et à la Religion, devrait ce me semble être admis et fermement embrassé, alors même qu’il ne serait proposé qu’en manière d’hypothèse, et qu’on accorderait la possibilité de l’existence de la Matière. Or je pense en avoir démontré avec évidence l’impossibilité.

134. Il est vrai qu’en conséquence des principes précédents, nombre de spéculations et de disputes, qu’on estime n’être pas la partie la moins élevée de la science, se trouvent rejetées comme sans utilité [et comme ne portant effectivement sur rien]. Mais de quelque grand préjugé que cette considération puisse être la cause, chez ceux qui sont déjà profondément engagés dans des études de cette nature, et qui y font eux-mêmes de grands progrès, contre les notions que nous donnons des choses, nous espérons que les autres ne verront pas une bonne raison de prendre en défaveur les principes et les doctrines que nous présentons ici, dans ce fait qu’elles abrègent l’étude et le travail et rendent les sciences humaines plus claires, plus compendieuses et plus facilement abordables qu’elles n’étaient auparavant.

135. Nous sommes arrivés au terme de ce que nous avions à dire touchant la connaissance des idées, et notre méthode nous amène à traiter des esprits. Peut-être ne sommes-nous pas, sur ce sujet, aussi ignorants qu’on l’imagine communément. La grande raison qu’on fait valoir pour nous regarder comme ne sachant rien de la nature des esprits, c’est que