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Demain la voie sera libre, dans la direction même du souffle qui avait conduit la vie au point où elle avait dû s’arrêter. Vienne alors l’appel du héros : nous ne le suivrons pas tous, mais tous nous sentirons que nous devrions le faire, et nous connaîtrons le chemin, que nous élargirons si nous y passons. Du même coup s’éclaircira pour toute philosophie le mystère de l’obligation suprême : un voyage avait été commencé, il avait fallu l’interrompre ; en reprenant sa route, on ne fait que vouloir encore ce qu’on voulait déjà. C’est toujours l’arrêt qui demande une explication, et non pas le mouvement.

Mais ne comptons pas trop sur l’apparition d’une grande âme privilégiée. A défaut d’elle, d’autres influences pourraient détourner notre attention des hochets qui nous amusent et des mirages autour desquels nous nous battons.

On a vu en effet comment le talent d’invention, aidé de la science, avait mis à la disposition de l’homme des énergies insoupçonnées. Il s’agissait d’énergies physico-chimiques, et d’une science qui portait sur la matière. Mais l’esprit ? A-t-il été approfondi scientifiquement autant qu’il aurait pu l’être ? Sait-on ce qu’un tel approfondissement pourrait donner ? La science s’est attachée à la matière d’abord ; pendant trois siècles elle n’a pas eu d’autre objet ; aujourd’hui encore, quand on ne joint pas au mot un qualificatif, il est entendu qu’on parle de la science de la matière. Nous en avons autrefois donné les raisons. Nous avons indiqué pourquoi l’étude scientifique de la matière avait précédé celle de l’esprit. Il fallait aller au plus pressé. La géométrie existait déjà ; elle avait été poussée assez loin par les anciens ; on devait commencer par tirer de la mathématique tout ce qu’elle pouvait fournir pour l’explication du monde où nous