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demande-t-elle aux bras plus d’effort qu’ils n’en devraient donner ? Si le machinisme a un tort, c’est de ne pas s’être employé suffisamment à aider l’homme dans ce travail si dur. On répondra qu’il y a des machines agricoles, et que l’usage en est maintenant fort répandu. Je l’accorde, mais ce que la machine a fait ici pour alléger le fardeau de l’homme, ce que la science a fait de son côté pour accroître le rendement de la terre, est comparativement restreint. Nous sentons bien que l’agriculture, qui nourrit l’homme, devrait dominer le reste, en tout cas être la première préoccupation de l’industrie elle-même. D’une manière générale, l’industrie ne s’est pas assez souciée de la plus ou moins grande importance des besoins à satisfaire. Volontiers elle suivait la mode, fabriquant sans autre pensée que de vendre. On voudrait, ici comme ailleurs, une pensée centrale, organisatrice, qui coordonnât l’industrie à l’agriculture et assignât aux machines leur place rationnelle, celle où elles peuvent rendre le plus de services à l’humanité. Quand on fait le procès du machinisme, on néglige le grief essentiel. On l’accuse d’abord de réduire l’ouvrier a l’état de machine, ensuite d’aboutir à une uniformité de production qui choque le sens artistique. Mais si la machine procure à l’ouvrier un plus grand nombre d’heures de repos, et si l’ouvrier emploie ce supplément de loisir à autre chose qu’aux prétendus amusements, qu’un industrialisme mal dirigé a mis à la portée de tous, il donnera à son intelligence le développement qu’il aura choisi, au lieu de s’en tenir à celui que lui imposerait, dans des limites toujours restreintes, le retour (d’ailleurs impossible) à l’outil, après suppression de la machine. Pour ce qui est de l’uniformité du produit, l’inconvénient en serait négligeable si l’économie de temps et de travail, réalisée