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invitent ainsi à multiplier nos besoins, on peut prévoir que physiologie et médecine nous révéleront de mieux en mieux ce qu’il y a de dangereux dans cette multiplication, et de décevant dans la plupart de nos satisfactions. J’apprécie un bon plat de viande : tel végétarien, qui l’aimait jadis autant que moi, ne peut aujourd’hui regarder de la viande sans être pris de dégoût. On dira que nous avons raison l’un et l’autre, et qu’il ne faut pas plus disputer des goûts que des couleurs. Peut-être ; mais je ne puis m’empêcher de constater la certitude inébranlable où il est, lui végétarien, de ne jamais revenir à son ancienne disposition, alors que je me sens beaucoup moins sûr de conserver toujours la mienne. Il a fait les deux expériences; je n’en ai fait qu’une. Sa répugnance s’intensifie quand son attention se fixe sur elle, tandis que ma satisfaction tient de la distraction et pâlit plutôt à la lumière ; je crois qu’elle s’évanouirait si des expériences décisives venaient prouver, comme ce n’est pas impossible, qu’on s’empoisonne spécifiquement, lentement, à manger de la viande . On nous enseignait au collège que la composition des substances alimentaires était connue, les exigences de notre organisme également, qu’on pouvait déduire de là ce qu’il faut et ce qui suffit comme ration d’entretien. On eût été bien étonné d’apprendre que l’analyse chimique laissait échapper les « vitamines », dont la présence dans notre nourriture est indispensable à notre santé. On s’apercevra sans doute que plus d’une maladie, aujourd’hui rebelle aux efforts de la médecine, a son origine lointaine dans des « carences » que nous ne soupçonnons pas. Le seul moyen sûr d’absorber tout ce dont nous avons