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se demander si la tendance simple n’eût pas mieux fait de croître sans se dédoubler, maintenue dans la juste mesure par la coïncidence même de la force d’impulsion avec un pouvoir d’arrêt, qui ne serait alors que virtuellement une force d’impulsion différente. On n’aurait pas risqué de tomber dans l’absurde, on se serait assuré contre la catastrophe. Oui, mais on n’eût pas obtenu le maximum de création en quantité et en qualité. Il faut s’engager à fond dans l’une des directions pour savoir ce qu’elle donnera : quand on ne pourra plus avancer, on reviendra, avec tout l’acquis, se lancer dans la direction négligée ou abandonnée. Sans doute, à regarder du dehors ces allées et venues, on ne voit que l’antagonisme des deux tendances, les vaines tentatives de l’une pour contrarier le progrès de l’autre, l’échec final de celle-ci et la revanche de la première : l’humanité aime le drame ; volontiers elle cueille dans l’ensemble d’une histoire plus ou moins longue les traits qui lui impriment la forme d’une lutte entre deux partis, ou deux sociétés, ou deux principes ; chacun d’eux, tour à tour, aurait remporté la victoire. Mais la lutte n’est ici que l’aspect superficiel d’un progrès. La vérité est qu’une tendance sur laquelle deux vues différentes sont possibles ne peut fournir son maximum, en quantité et en qualité, que si elle matérialise ces deux possibilités en réalités mouvantes, dont chacune se jette en avant et accapare la place, tandis que l’autre la guette sans cesse pour savoir si son tour est venu. Ainsi se développera le contenu de la tendance originelle, si toutefois on peut parler de contenu alors que personne, pas même la tendance elle-même devenue consciente, ne saurait dire ce qui sortira d’elle. Elle donne l’effort, et le résultat est une surprise. Telle est l’opération de la nature : les luttes dont elle nous offre le spectacle ne se résolvent pas tant