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un entourage nouveau, crée une situation nouvelle, qui supprime le danger en même temps qu’il accentue l’avantage. Il en est surtout ainsi des tendances très générales qui déterminent l’orientation d’une société et dont le développement se répartit nécessairement sur un nombre plus ou moins considérable de générations. Une intelligence, même surhumaine, ne saurait dire où l’on sera conduit, puisque l’action en marche crée sa propre route, crée pour une forte part les conditions où elle s’accomplira, et défie ainsi le calcul. On poussera donc de plus en plus loin ; on ne s’arrêtera, bien souvent, que devant l’imminence d’une catastrophe. La tendance antagoniste prend alors la place restée vide ; seule à son tour, elle ira aussi loin qu’il lui sera possible d’aller. Elle sera réaction, si l’autre s’est appelée action. Comme les deux tendances, si elles avaient cheminé ensemble, se seraient modérées l’une l’autre, comme leur interpénétration dans une tendance primitive indivisée est ce même par quoi doit se définir la modération, le seul fait de prendre toute la place communique à chacune d’elles un élan qui peut aller jusqu’à l’emportement à mesure que tombent les obstacles ; elle a quelque chose de frénétique. N’abusons pas du mot « loi» dans un domaine qui est celui de la liberté, mais usons de ce terme commode quand nous nous trouvons devant de grands faits qui présentent une régularité suffisante : nous appellerons loi de dichotomie celle qui paraît provoquer la réalisation, par leur seule dissociation, de tendances qui n’étaient d’abord que des vues différentes prises sur une tendance simple. Et nous proposerons alors d’appeler loi de double frénésie l’exigence, immanente à chacune des deux tendances une fois réalisée par sa séparation, d’être suivie jusqu’au bout, — comme s’il y avait un bout ! Encore une fois : il est difficile de ne pas