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d’un peuple, on comprend que celles-ci furent la raison d’être de celles-là : il fallait un instinct de guerre, et parce qu’il existait en vue de guerres féroces qu’on pourrait appeler naturelles, une foule de guerres accidentelles ont eu lieu, simplement pour empêcher l’arme de se rouiller. — Qu’on songe maintenant à l’exaltation des peuples au commencement d’une guerre ! Il y a là sans doute une réaction défensive contre la peur, une stimulation automatique des courages. Mais il y a aussi le sentiment qu’on était fait pour une vie de risque et d’aventure, comme si la paix n’était qu’une halte entre deux guerres. L’exaltation tombe bientôt, car la souffrance est grande. Mais si on laisse de côté la dernière guerre, dont l’horreur a dépassé tout ce qu’on croyait possible, il est curieux de voir comme les souffrances de la guerre s’oublient vite pendant la paix. On prétend qu’il existe chez la femme des mécanismes spéciaux d’oubli pour les douleurs de l’accouchement : un souvenir trop complet l’empêcherait de vouloir recommencer. Quelque mécanisme de ce genre semble vraiment fonctionner pour les horreurs de la guerre, surtout chez les peuples jeunes. — La nature a pris de ce côté d’autres précautions encore. Elle a interposé entre les étrangers et nous un voile habilement tissé d’ignorances, de préventions et de préjugés. Qu’on ne connaisse pas un pays où l’on n’est jamais allé, cela n’a rien d’étonnant. Mais que, ne le connaissant pas, on le juge, et presque toujours défavorablement, il y a là un fait qui réclame une explication. Quiconque a séjourné hors de son pays, et voulu ensuite initier ses compatriotes à ce que nous appelons une « mentalité » étrangère, a pu constater chez eux une résistance instinctive. La résistance n’est pas plus forte s’il s’agit d’un pays plus lointain. Bien au contraire, elle varierait plutôt en raison inverse