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doivent agir sur une matière, servir d’armes de chasse ou de pêche, par exemple ; le groupe dont il est membre aura jeté son dévolu sur une forêt, un lac, une rivière ; et cette place, à son tour, un autre groupe pourra juger plus commode de s’y installer que de chercher ailleurs. Dès lors, il faudra se battre. Nous parlons d’une forêt où l’on chasse, d’un lac où l’on pêche : il pourra aussi bien être question de terres à cultiver, de femmes à enlever, d’esclaves à emmener. Comme aussi c’est par des raisons variées qu’on justifiera ce qu’on aura fait. Mais peu importent la chose que l’on prend et le motif qu’on se donne : l’origine de la guerre est la propriété, individuelle ou collective, et comme l’humanité est prédestinée à la propriété par sa structure, la guerre est naturelle. L’instinct guerrier est si fort qu’il est le premier à apparaître quand on gratte la civilisation pour retrouver la nature. On sait combien les petits garçons aiment à se battre. Ils recevront des coups. Mais ils auront eu la satisfaction d’en donner. On a dit avec raison que les jeux de l’enfant étaient les exercices préparatoires auxquels la nature le convie en vue de la besogne qui incombe à l’homme fait. Mais on peut aller plus loin, et voir des exercices préparatoires ou des jeux dans la plupart des guerres enregistrées par l’histoire. Quand on considère la futilité des motifs qui provoquèrent bon nombre d’entre elles, on pense aux duellistes de Marion Delorme qui s’entre-tuaient « pour rien, pour le plaisir », ou bien encore à l’Irlandais cité par Lord Bryce, qui ne pouvait voir deux hommes échanger des coups de poing dans la rue sans poser la question : « Ceci est-il une affaire privée, ou peut-on se mettre de la partie ? » En revanche, si l’on place à côté des querelles accidentelles les guerres décisives, qui aboutirent à l’anéantisse-