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donnent, ou plutôt qui le tiennent, avec lui, de quelque puissance surnaturelle. Le commandement est absolu d’un côté, l’obéissance est absolue de l’autre. Nous avons dit bien des fois que les sociétés humaines et les sociétés d’hyménoptères occupaient les extrémités des deux lignes principales de l’évolution biologique. Dieu nous garde de les assimiler entre elles ! l’homme est intelligent et libre. Mais il faut toujours se rappeler que la vie sociale était comprise dans le plan de structure de l’espèce humaine comme dans celui de l’abeille, qu’elle était nécessaire, que la nature n’a pas pu s’en remettre exclusivement à nos volontés libres, que dès lors elle a dû faire en sorte qu’un seul ou quelques-uns commandent, que les autres obéissent. Dans le monde des insectes, la diversité des fonctions sociales est liée à une différence d’organisation ; il y a « polymorphisme ». Dirons-nous alors que dans les sociétés humaines il y a « dimorphisme », non plus physique et psychique à la fois comme chez l’insecte, mais psychique seulement ? Nous le croyons, a condition toutefois qu’il soit entendu que ce dimorphisme ne sépare pas les hommes en deux catégories irréductibles, les uns naissant chefs et les autres sujets. L’erreur de Nietzsche fut de croire à une séparation de ce genre : d’un côté les « esclaves », de l’autre les « maîtres ». La vérité est que le dimorphisme fait le plus souvent de chacun de nous, en même temps, un chef qui a l’instinct de commander et un sujet qui est prêt à obéir, encore que la seconde tendance l’emporte au point d’être seule apparente chez la plupart des hommes. Il est comparable à celui des insectes en ce qu’il implique deux organisations, deux systèmes indivisibles de qualités (dont certaines seraient des défauts aux yeux du moraliste) : nous optons pour l’un ou pour l’autre système, non pas