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Nous disons qu’il y a une société humaine naturelle, vaguement préfigurée en nous, que la nature a pris soin de nous en fournir par avance le schéma, toute latitude étant laissée à notre intelligence et à notre volonté pour suivre l’indication. Ce schéma vague et incomplet correspondrait, dans le domaine de l’activité raisonnable et libre, à ce qu’est le dessin cette fois précis de la fourmilière ou de la ruche dans le cas de l’instinct, à l’autre point terminus de l’évolution. Il y aurait donc seulement un schéma simple à retrouver.

Mais comment le retrouver, puisque l’acquis recouvre le naturel ? Nous serions embarrassé pour répondre, si nous devions fournir un moyen de recherche applicable automatiquement. La vérité est qu’il faut procéder par tâtonnement et recoupement, suivre à la fois plusieurs méthodes différentes dont chacune ne mènerait qu’à des possibilités ou des probabilités : interférant entre eux, les résultats se neutraliseront ou se renforceront mutuellement ; il y aura vérification et correction réciproques. Ainsi, l’on tiendra compte des « primitifs », sans oublier qu’une couche d’acquisitions recouvre aussi chez eux la nature, encore qu’elle soit peut-être moins épaisse que chez nous. On observera les enfants, sans oublier que la nature a pourvu aux différences d’âge, et que le naturel enfantin n’est pas nécessairement le naturel humain ; surtout, l’enfant est imitateur, et ce qui nous paraît chez lui spontané est souvent l’effet d’une éducation que nous lui donnons sans y prendre garde. Mais la source d’information par excellence sera l’introspection. Nous devrons aller à la recherche de ce fond de sociabilité, et aussi d’insociabilité, qui apparaîtrait à notre conscience si la société constituée n’avait mis en nous les habitudes et dispositions qui nous adaptent à elle. Nous