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l’obligation morale. Nous avons montré qu’elle peut s’élargir dans la société qui s’ouvre, mais qu’elle avait été faite pour une société close. Et nous avons montré aussi comment une société close ne peut vivre, résister à certaine action dissolvante de l’intelligence, conserver et communiquer à chacun de ses membres la confiance indispensable, que par une religion issue de la fonction fabulatrice. Cette religion, que nous avons appelée statique, et cette obligation, qui consiste en une pression, sont constitutives de la société close.

De la société close à la société ouverte, de la cité à l’humanité, on ne passera jamais par voie d’élargissement. Elles ne sont pas de même essence. La société ouverte est celle qui embrasserait en principe l’humanité entière. Rêvée, de loin en loin, par des âmes d’élite, elle réalise chaque fois quelque chose d’elle-même dans des créations dont chacune, par une transformation plus ou moins profonde de l’homme, permet de surmonter des difficultés jusque-la insurmontables. Mais après chacune aussi se referme le cercle momentanément ouvert. Une partie du nouveau s’est coulée dans le moule de l’ancien ; l’aspiration individuelle est devenue pression sociale ; l’obligation couvre le tout. Ces progrès se font-ils dans une même direction ? Il sera entendu que la direction est la même, du moment qu’on est convenu de dire que ce sont des progrès. Chacun d’eux se définira en effet alors un pas en avant. Mais ce ne sera qu’une métaphore, et s’il y avait réellement une direction préexistante le long de laquelle on se fût contenté d’avancer, les rénovations morales seraient prévisibles ; point ne serait besoin, pour chacune d’elles, d’un effort créateur. La vérité est qu’on peut toujours prendre la dernière, la définir par un concept, et dire que, les autres contenaient