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vers un point situé hors du plan pour y chercher l’acceptation ou le refus, la direction, l’inspiration : en ce point siégeait une indivisible émotion que l’intelligence aidait sans doute à s’expliciter en musique, mais qui était elle-même plus que musique et plus qu’intelligence. À l’opposé de l’émotion infra-intellectuelle, elle restait sous la dépendance de la volonté. Pour en référer à elle, l’artiste avait chaque fois à donner un effort, comme l’œil pour faire reparaître une étoile qui rentre aussitôt dans la nuit. Une émotion de ce genre ressemble sans doute, quoique de très loin, au sublime amour qui est pour le mystique l’essence même de Dieu. En tout cas le philosophe devra penser à elle quand il pressera de plus en plus l’intuition mystique pour l’exprimer en termes d’intelligence.

Il peut n’être pas musicien, mais il est généralement écrivain ; et l’analyse de son propre état d’âme, quand il compose, l’aidera à comprendre comment l’amour où les mystiques voient l’essence même de la divinité peut être, en même temps qu’une personne, une puissance de création. Il se tient d’ordinaire, quand il écrit, dans la région des concepts et des mots. La société lui fournit, élaborées par ses prédécesseurs et emmagasinées dans le langage, des idées qu’il combine d’une manière nouvelle après les avoir elles-mêmes remodelées jusqu’à un certain point pour les faire entrer dans la combinaison. Cette méthode donnera un résultat plus ou moins satisfaisant, mais elle aboutira toujours à un résultat, et dans un temps restreint. L’œuvre produite pourra d’ailleurs être originale et forte ; souvent la pensée humaine s’en trouvera enrichie. Mais ce ne sera qu’un accroissement du revenu de l’année ; l’intelligence sociale continuera à vivre sur le même fonds, sur les mêmes valeurs. Maintenant,