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qu’ils nous apportent la réponse implicite à des questions qui doivent préoccuper le philosophe, et que des difficultés devant lesquelles la philosophie a eu tort de s’arrêter sont implicitement pensées par eux comme inexistantes. Nous avons montré jadis qu’une partie de la métaphysique gravite, consciemment ou non, autour de la question de savoir pourquoi quelque chose existe : pourquoi la matière, ou pourquoi des esprits, ou pourquoi Dieu, plutôt que rien ? Mais cette question présuppose que la réalité remplit un vide, que sous l’être il y a le néant, qu’en droit il n’y aurait rien, qu’il faut alors expliquer pourquoi, en fait, il y a quelque chose. Et cette présupposition est illusion pure, car l’idée de néant absolu a tout juste autant de signification que celle d’un carré rond. L’absence d’une chose étant toujours la présence d’une autre — que nous préférons ignorer parce qu’elle n’est pas celle qui nous intéresse ou celle que nous attendions — une suppression n’est jamais qu’une substitution, une opération à deux faces que l’on convient de ne regarder que par un côté : l’idée d’une abolition de tout est donc destructive d’elle-même, inconcevable ; c’est une pseudo-idée, un mirage de représentation. Mais, pour des raisons que nous exposions jadis, l’illusion est naturelle ; elle a sa source dans les profondeurs de l’entendement. Elle suscite des questions qui sont la principale origine de l’angoisse métaphysique. Ces questions, un mystique estimera qu’elles ne se posent même pas : illusions d’optique interne dues à la structure de l’intelligence humaine, elles s’effacent et disparaissent à mesure qu’on s’élève au-dessus du point de vue humain. Pour des raisons analogues, le mystique ne s’inquiétera pas davantage des difficultés accumulées par la philosophie autour des attributs « métaphysiques » de la divinité ;