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Nous nous en convaincrons encore mieux, nous verrons par un autre côté comment ces deux religions s’opposent et comment elles se rejoignent, si nous tenons compte des tentatives de la seconde pour s’installer dans la première avant de la supplanter. À vrai dire, c’est nous qui les convertissons en tentatives, rétroactivement. Elles furent, quand elles se produisirent, des actes complets, qui se suffisaient à eux-mêmes, et elles ne sont devenues des commencements ou des préparations que du jour où elles ont été transformées en insuccès par une réussite finale, grâce au mystérieux pouvoir que le présent exerce sur le passé. Elles ne nous en serviront pas moins à jalonner un intervalle, à analyser en ses éléments virtuels l’acte indivisible par lequel la religion dynamique se pose, et à montrer du même coup, par la direction évidemment commune des élans qui n’ont pas abouti, comment le saut brusque qui fut définitif n’eut rien d’accidentel.

Au premier rang parmi les esquisses du mysticisme futur nous placerons certains aspects des mystères païens. Il ne faudrait pas que le mot nous fît illusion : la plupart des mystères n’eurent rien de mystique. Ils se rattachaient à la religion établie, qui trouvait tout naturel de les avoir à côté d’elle. Ils célébraient les mêmes dieux, ou des dieux issus de la même fonction fabulatrice. Ils renforçaient simplement chez les initiés l’esprit religieux en le doublant de cette satisfaction que les hommes ont toujours éprouvée à former de petites sociétés au sein de la grande, et à s’ériger en privilégiés par le fait d’une initiation tenue secrète. Les membres de ces sociétés closes se sentaient plus près du dieu qu’ils invoquaient, ne fût-ce que parce que la représentation des scènes mythologiques jouait un plus grand rôle ici que dans les cérémonies