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la volonté des dieux et surtout des esprits, du moins à capter leur faveur. C’est à mi-chemin entre ces deux extrémités que se situe ordinairement la prière, telle qu’on l’entend dans le polythéisme. Sans doute l’antiquité a connu des formes de prière admirables, où se traduisait une aspiration de l’âme à devenir meilleure. Mais ce furent là des exceptions, et comme des anticipations d’une croyance religieuse plus pure. Il est plus habituel au polythéisme d’imposer à la prière une forme stéréotypée, avec l’arrière-pensée que ce n’est pas seulement la signification de la phrase, mais aussi bien la consécution des mots avec l’ensemble des gestes concomitants qui lui donnera son efficacité. On peut même dire que, plus le polythéisme évolue, plus il devient exigeant sur ce point ; l’intervention d’un prêtre est de plus en plus nécessaire pour assurer le dressage du fidèle. Comment ne pas voir que cette habitude de prolonger l’idée du dieu, une fois évoquée, en paroles prescrites et en attitudes prédéterminées confère à son image une objectivité supérieure ? Nous avons montré jadis que ce qui fait la réalité d’une perception, ce qui la distingue d’un souvenir ou d’une imagination, c’est, avant tout, l’ensemble des mouvements naissants qu’elle imprime au corps et qui la complètent par une action automatiquement commencée. Des mouvements de ce genre pourront se dessiner pour une autre cause : leur actualité refluera aussi bien vers la représentation qui les aura occasionnés, et la convertira pratiquement en chose.

Quant au sacrifice, c’est sans doute, d’abord, une offrande destinée à acheter la faveur du dieu ou à détourner sa colère. Il doit être d’autant mieux accueilli qu’il a plus coûté, et que la victime a une plus grande valeur. C’est probablement ainsi que s’explique en partie l’habitude