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du spectateur aux suggestions du dramaturge est singulièrement accrue par l’attention et l’intérêt de la société présente. Mais il s’agit d’une société juste aussi grande que la salle, et qui dure juste autant que la pièce : que sera-ce, si la croyance individuelle est soutenue, confirmée par tout un peuple, et si elle prend son point d’appui dans le passé comme dans le présent ? Que sera-ce, si le dieu est chanté par les poètes, logé dans des temples, figuré par l’art ? Tant que la science expérimentale ne se sera pas solidement constituée, il n’y aura pas de plus sûr garant de la vérité que le consentement universel. La vérité sera le plus souvent ce consentement même. Soit dit en passant, c’est là une des raisons d’être de l’intolérance. Celui qui n’accepte pas la croyance commune l’empêche, pendant qu’il nie, d’être totalement vraie. La vérité ne recouvrera son intégrité que s’il se rétracte ou disparaît.

Nous ne voulons pas dire que la croyance religieuse n’ait pas pu être, même dans le polythéisme, une croyance individuelle. Chaque Romain avait un genius attaché à sa personne ; mais il ne croyait si fermement à son génie que parce que chacun des autres Romains avait le sien et parce que sa foi, personnelle sur ce point, lui était garantie par une foi universelle. Nous ne voulons pas dire non plus que la religion ait jamais été d’essence sociale plutôt qu’individuelle : nous avons bien vu que la fonction fabulatrice, innée à l’individu, a pour premier objet de consolider la société ; mais nous savons qu’elle est également destinée à soutenir l’individu lui-même, et que d’ailleurs l’intérêt de la société est là. À vrai dire, individu et société s’impliquent réciproquement : les individus constituent la société par leur assemblage ; la société détermine tout un côté des individus par sa préfiguration dans