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la maison, conservera toujours son importance. Chez les Romains comme chez les Grecs, la déesse qui s’appela Hestia ou Vesta a dû n’être d’abord que la flamme du foyer envisagée dans sa fonction, je veux dire dans son intention bienfaisante. Quittons l’antiquité classique, transportons-nous dans l’Inde, en Chine, au Japon : partout nous retrouverons la croyance aux esprits ; on assure qu’aujourd’hui encore elle constitue (avec le culte des ancêtres, qui en est très voisin) l’essentiel de la religion chinoise. Parce qu’elle est universelle, on s’était aisément persuadé qu’elle était originelle. Constatons du moins qu’elle n’est pas loin des origines, et que l’esprit humain passe naturellement par elle avant d’arriver à l’adoration des dieux.

Il pourrait d’ailleurs s’arrêter à une étape intermédiaire. Nous voulons parler du culte des animaux, si répandu dans l’humanité d’autrefois que certains l’ont considéré comme plus naturel encore que l’adoration des dieux à forme humaine. Nous le voyons se conserver, vivace et tenace, là même où l’homme se représente déjà des dieux à son image. C’est ainsi qu’il subsista jusqu’au bout dans l’ancienne Égypte. Parfois le dieu qui a émergé de la forme animale refuse de l’abandonner tout à fait ; à son corps d’homme il superposera une tête d’animal. Tout cela nous surprend aujourd’hui. C’est surtout parce que l’homme a pris à nos yeux une dignité éminente. Nous le caractérisons par l’intelligence, et nous savons qu’il n’y a pas de supériorité que l’intelligence ne puisse nous donner, pas d’infériorité qu’elle ne sache compenser. Il n’en était pas ainsi lorsque l’intelligence n’avait pas encore fait ses preuves. Ses inventions étaient trop rares pour qu’apparût sa puissance indéfinie d’inventer ; les armes et les outils qu’elle procurait à l’homme supportaient mal