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et c’est le besoin d’obtenir des faveurs qui a tiré de cette même croyance, dans la direction inverse, les esprits et les dieux. Ni l’impersonnel n’a évolué vers le personnel, ni de pures personnalités n’ont été posées d’abord ; mais de quelque chose d’intermédiaire, fait pour soutenir la volonté plutôt que pour éclairer l’intelligence, sont sorties par dissociation, vers le bas et vers le haut, les forces sur lesquelles pèse la magie et les dieux auxquels montent les prières.

Nous nous sommes expliqué sur le premier point. Nous aurions fort à faire si nous devions nous étendre sur le second. L’ascension graduelle de la religion vers des dieux dont la personnalité est de plus en plus marquée, qui entretiennent entre eux des rapports de mieux en mieux définis ou qui tendent à s’absorber dans une divinité unique, correspond au premier des deux grands progrès de l’humanité dans le sens de la civilisation. Elle s’est poursuivie jusqu’au jour où l’esprit religieux se tourna du dehors au dedans, du statique au dynamique, par une conversion analogue à celle qu’exécuta la pure intelligence quand elle passa de la considération des grandeurs finies au calcul différentiel. Ce dernier changement fut sans doute décisif ; des transformations de l’individu devinrent possibles, comme celles qui ont donné les espèces successives dans le monde organisé ; le progrès put désormais consister dans une création de qualités nouvelles, et non plus dans un simple agrandissement; au lieu de profiter seulement de la vie, sur place, au point où l’on s’est arrêté, on continuera maintenant le mouvement vital. De cette religion tout intérieure nous traiterons dans le prochain chapitre. Nous verrons qu’elle soutient l’homme par le mouvement même qu’elle lui imprime en le replaçant dans l’élan créateur, et non plus