Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/196

Cette page n’a pas encore été corrigée

individualisés, mais qui n’ont pas la personnalité complète, ni la dignité éminente des dieux. D’autre part, l’incantation peut participer à la fois du commandement et de la prière.

L’histoire des religions a longtemps tenu pour primitive, et pour explicative de tout le reste, la croyance aux esprits. Comme chacun de nous a son âme, essence plus subtile que celle du corps, ainsi, dans la nature, toute chose serait animée ; une entité vaguement spirituelle l’accompagnerait. Les esprits une fois posés, l’humanité aurait passé de la croyance à l’adoration. Il y aurait donc une philosophie naturelle, l’animisme, d’où serait sortie la religion. À cette hypothèse on semble en préférer aujourd’hui une autre. Dans une phase « préanimiste » ou « animatiste », l’humanité se serait représentée une force impersonnelle telle que le « mana » polynésien, répandue dans le tout, inégalement distribuée entre les parties ; elle ne serait venue que plus tard aux esprits. Si nos analyses sont exactes, ce n’est pas une force impersonnelle, ce ne sont pas des esprits déjà individualisés qu’on aurait conçus d’abord ; on aurait simplement prêté des intentions aux choses et aux événements, comme si la nature avait partout des yeux qu’elle tourne vers l’homme. Qu’il y ait bien là une disposition originelle, c’est ce que nous pouvons constater quand un choc brusque réveille l’homme primitif qui sommeille au fond de chacun de nous. Ce que nous éprouvons alors, c’est le sentiment d’une présence efficace ; peu importe d’ailleurs la nature de cette présence, l’essentiel est son efficacité : du moment qu’on s’occupe de nous, l’intention peut n’être pas toujours bonne, nous comptons du moins dans l’univers. Voilà ce que dit l’expérience. Mais a priori, il était déjà invraisemblable que l’humanité eût commencé