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que permettaient les lois physiques. C’est de quoi l’on s’assurera sans peine, si l’on considère les procédés de la magie et les conceptions de la matière par lesquelles on se représentait confusément qu’elle pût réussir.

Les opérations ont été souvent décrites, mais comme applications de certains principes théoriques tels que : « le semblable agit sur le semblable », « la partie vaut pour le tout », etc. Que ces formules puissent servir à classer les opérations magiques, cela n’est pas douteux. Mais il ne s’ensuit nullement que les opérations magiques dérivent d’elles. Si l’intelligence primitive avait commencé ici par concevoir des principes, elle se fût bien vite rendue à l’expérience, qui lui en eût démontré la fausseté. Mais ici encore elle ne fait que traduire en représentation des suggestions de l’instinct. Plus précisément, il y a une logique du corps, prolongement du désir, qui s’exerce bien avant que l’intelligence lui ait trouvé une forme conceptuelle.

Voici par exemple un « primitif » qui voudrait tuer son ennemi ; mais l’ennemi est loin ; impossible de l’atteindre. N’importe ! notre homme est en rage ; il fait le geste de se précipiter sur l’absent. Une fois lancé, il va jusqu’au bout ; il serre entre ses doigts la victime qu’il croit ou qu’il voudrait tenir, il l’étrangle. Il sait pourtant bien que le résultat n’est pas complet. Il a fait tout ce qui dépendait de lui : il veut, il exige que les choses se chargent du reste. Elles ne le feront pas mécaniquement. Elles ne céderont pas à une nécessité physique, comme lorsque notre homme frappait le sol, remuait bras et jambes, obtenait enfin de la matière les réactions correspondant à ses actions. Il faut donc qu’à la nécessité de restituer mécaniquement les mouvements reçus la matière