Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/182

Cette page n’a pas encore été corrigée

elle a prise. Que fera-t-elle pour le reste ? Laissée à elle-même, elle constaterait simplement son ignorance ; l’homme se sentirait perdu dans l’immensité. Mais l’instinct veille. À la connaissance proprement scientifique, qui accompagne la technique ou qui s’y trouve impliquée, elle adjoint, pour tout ce qui échappe à notre action, la croyance à des puissances qui tiendraient compte de l’homme. L’univers se peuple ainsi d’intentions, d’ailleurs éphémères et changeantes ; seule relèverait du pur mécanisme la zone à l’intérieur de laquelle nous agissons mécaniquement. Cette zone s’élargit à mesure que notre civilisation avance ; l’univers tout entier finit par prendre la forme d’un mécanisme aux yeux d’une intelligence qui se représente idéalement la science achevée. Nous en sommes là, et un vigoureux effort d’introspection nous est aujourd’hui nécessaire pour retrouver les croyances originelles que notre science recouvre de tout ce qu’elle sait et de tout ce qu’elle espère savoir. Mais dès que nous les tenons, nous voyons comment elles s’expliquent par le jeu combiné de l’intelligence et de l’instinct, comment elles ont dû répondre à un intérêt vital. Considérant alors les non-civilisés, nous vérifions ce que nous avons observé, en nous-mêmes ; mais la croyance est ici enflée, exagérée, multipliée : au lieu de reculer, comme elle l’a fait chez le civilisé, devant les progrès de la science, elle envahit la zone réservée à l’action mécanique et se superpose à des activités qui devraient l’exclure. Nous touchons ici à un point essentiel. On a dit que la religion avait commencé par la magie. On a vu aussi dans la magie un prélude à la science. Si l’on s’en tient à la psychologie, comme nous venons de le faire, Si l’on reconstitue, par un effort d’introspection, la réaction naturelle de l’homme à sa perception des choses, on trouve que magie et religion se