Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/180

Cette page n’a pas encore été corrigée

autrefois : comme si le vrai mérite ne résidait pas dans l’effort ! comme si une espèce dont chaque individu doit se hausser au-dessus de lui-même, par une laborieuse assimilation de tout le passé, ne valait pas au moins autant que celle dont chaque génération serait portée globalement au-dessus des précédentes par le jeu automatique de l’hérédité ! Mais il y a encore un autre orgueil, celui de l’intelligence, qui ne veut pas reconnaître son assujettissement originel à des nécessités biologiques. On n’étudierait pas une cellule, un tissu, un organe, sans s’occuper de sa fonction ; dans le domaine psychologique lui-même, on ne se croirait pas quitte envers un instinct si on ne le rattachait pas à un besoin de l’espèce ; mais une fois arrivé à l’intelligence, adieu la nature ! adieu la vie ! l’intelligence serait ce qu’elle est « pour rien, pour le plaisir ». Comme si elle ne répondait pas d’abord, elle aussi, à des exigences vitales ! Son rôle originel est de résoudre des problèmes analogues a ceux que résout l’instinct, par une méthode très différente, il est vrai, qui assure le progrès et qui ne se peut pratiquer sans une indépendance théoriquement complète à l’égard de la nature. Mais cette indépendance est limitée en fait : elle s’arrête au moment précis où l’intelligence irait contre son but, en lésant un intérêt vital. L’intelligence est donc nécessairement surveillée par l’instinct, ou plutôt par la vie, origine commune de l’instinct et de l’intelligence. Nous ne voulons pas dire autre chose quand nous parlons d’instincts intellectuels : il s’agit de représentations formées par l’intelligence naturellement, pour s’assurer par certaines convictions contre certains dangers de la connaissance. Telles sont donc les tendances, telles sont aussi les expériences dont la psychologie doit tenir compte si elle veut remonter aux origines.