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ne pas le donner, probablement par paresse, peut-être aussi pour n’avoir pas à changer d’attitude vis-à-vis d’un homme contre lequel — c’est le cas de le dire — j’avais une dent. Je me laissais donc simplement aller à ne pas penser, et l’idée que je devais me faire du dentiste se dessinait alors d’elle-même dans mon esprit en traits lumineux. C’était évidemment un homme dont le plus grand plaisir était d’arracher des dents, et qui allait jusqu’à payer pour cela une somme de cinquante centimes.

Mais fermons cette parenthèse et résumons-nous. À l’origine des croyances que nous venons d’envisager nous avons trouvé une réaction défensive de la nature contre un découragement qui aurait sa source dans l’intelligence. Cette réaction suscite, au sein de l’intelligence même, des images et des idées qui tiennent en échec la représentation déprimante, ou qui l’empêchent de s’actualiser. Des entités surgissent, qui n’ont pas besoin d’être des personnalités complètes : il leur suffit d’avoir des intentions, ou même de coïncider avec elles. Croyance signifie donc essentiellement confiance ; l’origine première n’est pas la crainte, mais une assurance contre la crainte. Et d’autre part ce n’est pas nécessairement une personne que la croyance prend pour objet d’abord ; un anthropomorphisme partiel lui suffit. Tels sont les deux points qui nous frappent quand nous considérons l’attitude naturelle de l’homme vis-à-vis d’un avenir auquel il pense par cela même qu’il est intelligent, et dont il s’alarmerait, en raison de ce qu’il y trouve d’imprévisible, s’il s’en tenait à la représentation que la pure intelligence lui en donne. Mais telles sont aussi les deux constatations que l’on peut faire dans des cas où il ne s’agit plus de l’avenir, mais du présent, et où l’homme est le jouet de forces énormément