Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/162

Cette page n’a pas encore été corrigée

pour lancer sa flèche, sur la hache pour entamer le tronc de l’arbre, sur ses dents pour mordre ou sur ses jambes pour marcher. Il peut ne pas se représenter explicitement cette causalité naturelle ; il n’a aucun intérêt à le faire, n’étant ni physicien ni philosophe ; mais il a foi en elle et il la prend pour support de son activité. Allons plus loin encore. Quand le primitif fait appel à une cause mystique pour expliquer la mort, la maladie ou tout autre accident, quelle est au juste l’opération à laquelle il se livre ? Il voit par exemple qu’un homme a été tué par un fragment de rocher qui s’est détaché au cours d’une tempête. Nie-t-il que le rocher ait été déjà fendu, que le vent ait arraché la pierre, que le choc ait brisé un crâne ? Évidemment non. Il constate comme nous l’action de ces causes secondes. Pourquoi donc introduit-il une « cause mystique », telle que la volonté d’un esprit ou d’un sorcier, pour l’ériger en cause principale ? Qu’on y regarde de près : on verra que ce que le primitif explique ici par une cause « surnaturelle », ce n’est pas l’effet physique, c’est sa signification humaine, c’est son importance pour l’homme et plus particulièrement pour un certain homme déterminé, celui que la pierre écrase. Il n’y a rien d’illogique, ni par conséquent de « prélogique », ni même qui témoigne d’une « imperméabilité à l’expérience », dans la croyance qu’une cause doit être proportionnée à son effet, et qu’une fois constatées la fêlure du rocher, la direction et la violence du vent — choses purement physiques et insoucieuses de l’humanité — il reste à expliquer ce fait, capital pour nous, qu’est la mort d’un homme. La cause contient éminemment l’effet, disaient jadis les philosophes ; et si l’effet a une signification humaine considérable, la cause doit avoir une signification au moins égale ; elle est en tout cas de même ordre : c’est une