Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/160

Cette page n’a pas encore été corrigée

que de se décourager, il étend à ce domaine le système d’explication dont il use dans ses rapports avec ses semblables ; il y croira trouver des puissances amies, il y sera exposé aussi à des influences malfaisantes ; de toute manière il n’aura pas affaire à un monde qui lui soit complètement étranger. Il est vrai que, si de bons et de mauvais génies doivent prendre la suite de l’action qu’il exerce sur la matière, ils paraîtront influencer déjà cette action elle-même. Notre homme parlera donc comme s’il ne comptait nulle part, pas même pour ce qui dépend de lui, sur un enchaînement mécanique de causes et d’effets. Mais s’il ne croyait pas ici à un enchaînement mécanique, nous ne le verrions pas, dès qu’il agit, faire tout ce qu’il faut pour déclencher mécaniquement le résultat. Or, qu’il s’agisse de sauvages ou de civilisés, si l’on veut savoir le fond de ce qu’un homme pense, il faut s’en rapporter à ce qu’il fait et non pas à ce qu’il dit.

Dans les livres si intéressants et si instructifs qu’il a consacrés à la « mentalité primitive », M. Lévy-Bruhl insiste sur « l’indifférence de cette mentalité aux causes secondes », sur son recours immédiat à des « causes mystiques ». « Notre activité quotidienne, dit-il, implique une tranquille et parfaite confiance dans l’invariabilité des lois naturelles. Bien différente est l’attitude d’esprit du primitif. La nature au milieu de laquelle il vit se présente à lui sous un tout autre aspect. Tous les objets et tous les êtres y sont impliqués dans un réseau de participations et d’exclusions mystiques [1]. » Et un peu plus loin : « Ce qui varie dans les représentations collectives, ce sont les forces occultes auxquelles on attribue la maladie ou la mort qui sont survenues : tantôt c’est un sorcier qui est le

  1. La Mentalité primitive , Paris, 1922, pp. 17-18.