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rien de semblable. Ni impulsion ni attraction, semble-t-elle dire. Un élan peut précisément suggérer quelque chose de ce genre et faire penser aussi, par l’indivisibilité de ce qui en est intérieurement senti et la divisibilité à l’infini de ce qui en est extérieurement perçu, à cette durée réelle, efficace, qui est l’attribut essentiel de la vie. — Telles étaient les idées que nous enfermions dans l’image de l’« élan vital ». À les négliger, comme on l’a fait trop souvent, on se trouve naturellement devant un concept vide, comme celui du pur « vouloir-vivre », et devant une métaphysique stérile. Si l’on tient compte d’elles, on a une idée chargée de matière, empiriquement obtenue, capable d’orienter la recherche, qui résumera en gros ce que nous savons du processus vital et qui marquera aussi ce que nous en ignorons.

Ainsi envisagée, l’évolution apparaît comme s’accomplissant par sauts brusques, et la variation constitutive de l’espèce nouvelle comme faite de différences multiples, complémentaires les unes des autres, qui surgissent globalement dans l’organisme issu du germe. C’est, pour reprendre notre comparaison, un mouvement soudain de la main plongée dans la limaille et qui provoque un réarrangement immédiat de tous les brins de fer. Si d’ailleurs la transformation s’opère chez divers représentants d’une même espèce, elle peut ne pas obtenir chez tous le même succès. Rien ne dit que l’apparition de l’espèce humaine n’ait pas été due à plusieurs sauts de même direction s’accomplissant çà et là dans une espèce antérieure et aboutissant ainsi à des spécimens d’humanité assez différents ; chacun d’eux correspondrait à une tentative qui a réussi, en ce sens que les variations multiples qui caractérisent chacun d’eux sont parfaitement coordonnées les unes aux autres ; mais