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la vie qui évolue, on applique a priori le principe d’économie qui se recommande à la science positive, mais on ne constate nullement un fait, et l’on vient tout de suite buter contre d’insurmontables difficultés. Cette insuffisance du darwinisme est le second point que nous marquions quand nous parlions d’un élan vital : à la théorie nous opposions un fait ; nous constations que l’évolution de la vie s’accomplit dans des directions déterminées. — Maintenant, ces directions sont-elles imprimées à la vie par les conditions où elle évolue ? Il faudrait admettre alors que les modifications subies par l’individu passent à ses descendants, tout au moins assez régulièrement pour assurer par exemple la complication graduelle d’un organe accomplissant de plus en plus délicatement la même fonction. Mais l’hérédité de l’acquis est contestable et, à supposer qu’elle s’observe jamais, exceptionnelle ; c’est encore a priori, et pour les besoins de la cause, qu’on la fait fonctionner avec cette régularité. Reportons à l’inné cette transmissibilité régulière : nous nous conformerons à l’expérience, et nous dirons que ce n’est pas l’action mécanique des causes extérieures, que c’est une poussée interne, passant de germe à germe à travers les individus, qui porte la vie, dans une direction donnée, à une complication de plus en plus haute. Telle est la troisième idée qu’évoquera l’image de l’élan vital. — Allons plus loin. Quand on parle du progrès d’un organisme ou d’un organe s’adaptant à des conditions plus complexes, on veut le plus souvent que la complexité des conditions impose sa forme à la vie, comme le moule au plâtre : à cette condition seulement, se dit-on, on aura une explication mécanique, et par conséquent scientifique. Mais, après s’être donné la satisfaction d’interpréter ainsi l’adaptation en général, on raisonne dans