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extension et un redressement de la justice humaine par la justice divine : aux sanctions établies par la société, et dont le jeu est si imparfait, elle en superpose d’autres, infiniment plus hautes, qui doivent nous être appliquées dans la cité de Dieu quand nous aurons quitté celle des hommes ; toutefois, c’est sur le plan de la cité humaine qu’on se maintient ainsi ; on fait intervenir la religion, sans doute, mais non pas dans ce qu’elle a de plus spécifiquement religieux ; si haut qu’on s’élève, on envisage encore l’éducation morale comme un dressage, et la moralité comme une discipline ; c’est à la première des deux méthodes qu’on s’attache encore, on ne s’est pas transporté à la seconde. D’autre part, c’est aux dogmes religieux, à la métaphysique qu’ils impliquent, que nous pensons généralement dès que le mot « religion » est prononcé : de sorte que lorsqu’on donne la religion pour fondement à la morale, on se représente un ensemble de conceptions, relatives à Dieu et au monde, dont l’acceptation aurait pour conséquence la pratique du bien. Mais il est clair que ces conceptions, prises en tant que telles, influent sur notre volonté et sur notre conduite comme peuvent le faire des théories, c’est-à-dire des idées : nous sommes ici sur le plan intellectuel, et, comme on l’a vu plus haut, ni l’obligation ni ce qui la prolonge ne saurait dériver de l’idée pure, celle-ci n’agissant sur notre volonté que dans la mesure où il nous plaît de l’accepter et de la mettre en pratique. Que si l’on distingue cette métaphysique de toutes les autres en disant que précisément elle s’impose à notre adhésion, on a peut-être encore raison, mais alors ce n’est plus à son seul contenu, à la pure représentation intellectuelle que l’on pense ; on introduit quelque chose de différent, qui soutient la représentation, qui lui communique je ne sais quelle efficace,