Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/109

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mot étant pris dans son sens le plus élevé ; l’autre est celle de la mysticité, le terme ayant au contraire ici sa signification la plus modeste. Par la première méthode on inculque une morale faite d’habitudes impersonnelles ; par la seconde on obtient l’imitation d’une personne, et même une union spirituelle, une coïncidence plus ou moins complète avec elle. Le dressage originel, celui qui avait été voulu par la nature, consistait dans l’adoption des habitudes du groupe ; il était automatique ; il se faisait de lui-même là où l’individu se sentait à moitié confondu avec la collectivité. À mesure que la société se différenciait par l’effet d’une division du travail, elle déléguait aux groupements ainsi constitués à l’intérieur d’elle la tâche de dresser l’individu, de le mettre en harmonie avec eux et par là avec elle ; mais il s’agissait toujours d’un système d’habitudes contractées au profit seulement de la société. Qu’une moralité de ce genre suffise à la rigueur, si elle est complète, cela n’est pas douteux. Ainsi, l’homme strictement inséré dans le cadre de son métier ou de sa profession, qui serait tout entier à son labeur quotidien, qui organiserait sa vie de manière à fournir la plus grande quantité et la meilleure qualité possible de travail, s’acquitterait généralement ipso facto de beaucoup d’autres obligations. La discipline aurait fait de lui un honnête homme. Telle est la première méthode ; elle opère dans l’impersonnel. L’autre la complétera au besoin ; elle pourra même la remplacer. Nous n’hésitons pas à l’appeler religieuse, et même mystique ; mais il faut s’entendre sur le sens des mots. On se plaît à dire que la religion est l’auxiliaire de la morale, en ce qu’elle fait craindre ou espérer des peines ou des récompenses. On a peut-être raison, mais on devrait ajouter que, de ce côté, la religion ne fait guère autre chose que promettre une