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mieux la projection sur le plan intellectuel, d’un ensemble de tendances et d’aspirations dont les unes sont au-dessus et les autres au-dessous de la pure intelligence ! Rétablissons la dualité d’origine : les difficultés s’évanouissent. Et la dualité elle-même se résorbe dans l’unité, car « pression sociale » et « élan d’amour » ne sont que deux manifestations complémentaires de la vie, normalement appliquée à conserver en gros la forme sociale qui fut caractéristique de l’espèce humaine dès l’origine, mais exceptionnellement capable de la transfigurer, grâce à des individus dont chacun représente, comme eût fait l’apparition d’une nouvelle espèce, un effort d’évolution créatrice.

De cette double origine de la morale les éducateurs n’ont peut-être pas tous la vision complète, mais ils en aperçoivent quelque chose dès qu’ils veulent réellement inculquer la morale à leurs élèves, et non pas seulement leur en parler. Nous ne nions pas l’utilité, la nécessité même d’un enseignement moral qui s’adresse à la pure raison, qui définisse les devoirs et les rattache à un principe dont il suit, dans le détail, les diverses applications. C’est sur le plan de l’intelligence, et sur celui-là seulement, que la discussion est possible, et il n’y a pas de moralité complète sans réflexion, analyse, discussion avec les autres comme avec soi-même. Mais si un enseignement qui s’adresse à l’intelligence est indispensable pour donner au sens moral de l’assurance et de la délicatesse, s’il nous rend pleinement capables de réaliser notre intention là où notre intention est bonne, encore faut-il qu’il y ait d’abord intention, et l’intention marque une direction de la volonté autant et plus que de l’intelligence. Comment aura-t-on prise sur la volonté ? Deux voies s’ouvrent à l’éducateur. L’une est celle du dressage, le