Page:Bergson - Le Rire.djvu/177

Cette page a été validée par deux contributeurs.

hommes soit nécessaire au poète tragique. D’abord, en fait, nous trouvons que de très grands poètes ont mené une vie très retirée, très bourgeoise, sans que l’occasion leur ait été fournie de voir se déchaîner autour d’eux les passions dont ils ont tracé la description fidèle. Mais, à supposer qu’ils eussent eu ce spectacle, on se demande s’il leur aurait servi à grand-chose. Ce qui nous intéresse, en effet, dans l’œuvre du poète, c’est la vision de certains états d’âme très profonds ou de certains conflits tout intérieurs. Or, cette vision ne peut pas s’accomplir du dehors. Les âmes ne sont pas pénétrables les unes aux autres. Nous n’apercevons extérieurement que certains signes de la passion. Nous ne les interprétons — défectueusement d’ailleurs — que par analogie avec ce que nous avons éprouvé nous-mêmes. Ce que nous éprouvons est donc l’essentiel, et nous ne pouvons connaître à fond que notre propre cœur — quand nous arrivons à le connaître. Est-ce à dire que le poète ait éprouvé ce qu’il décrit, qu’il ait passé par les situations de ses personnages et vécu leur vie intérieure ? Ici encore la biographie des poètes nous donnerait