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chose de quasi divin dans l’effort, si humble soit-il, d’un esprit qui se réinsère dans l’élan vital, générateur des sociétés qui sont génératrices d’idées.

Cet effort exorcisera certains fantômes de problèmes qui obsèdent le métaphysicien, c’est-à-dire chacun de nous. Je veux parler de ces problèmes angoissants et insolubles qui ne portent pas sur ce qui est, qui portent plutôt sur ce qui n’est pas. Tel est le problème de l’origine de l’être : « Comment se peut-il que quelque chose existe — matière, esprit, ou Dieu ? Il a fallu une cause, et une cause de la cause, et ainsi de suite indéfiniment. » Nous remontons donc de cause en cause ; et si nous nous arrêtons quelque part, ce n’est pas que notre intelligence ne cherche plus rien au delà, c’est que notre imagination finit par fermer les yeux, comme sur l’abîme, pour échapper au vertige. Tel est encore le problème de l’ordre en général : « Pourquoi une réalité ordonnée, où notre pensée se retrouve comme dans un miroir ? Pourquoi le monde n’est-il pas incohérent ? » Je dis que ces problèmes se rapportent à ce qui n’est pas, bien plutôt qu’à ce qui est. Jamais, en effet, on ne s’étonnerait de ce que quelque chose existe, — matière, esprit, Dieu, — si l’on n’admettait pas implicitement qu’il pourrait ne rien exister. Nous nous figurons, ou mieux nous croyons nous figurer, que l’être est venu combler un vide et que le néant préexistait logiquement à l’être : la réalité primordiale — qu’on l’appelle matière, esprit ou Dieu — viendrait alors s’y surajouter, et c’est incompréhensible. De même, on ne se demanderait pas pourquoi l’ordre existe si l’on ne croyait concevoir un désordre qui se serait plié à l’ordre et qui par conséquent le précéderait, au moins idéalement. L’ordre aurait donc besoin d’être expliqué, tandis que le désordre, étant de droit, ne réclamerait pas d’ex-