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s’appliquent à la géométrie. Sans doute la science mathématique aurait pu ne pas prendre, à l’origine, la forme que les Grecs lui ont donnée. Sans doute aussi elle doit s’astreindre, quelque forme qu’elle adopte, à l’emploi de signes artificiels. Mais antérieurement à cette mathématique formulée, qui renferme une grande part de convention, il y en a une autre, virtuelle ou implicite, qui est naturelle à l’esprit humain. Si la nécessité d’opérer sur certains signes rend l’abord des mathématiques difficiles à beaucoup d’entre nous, en revanche, dès qu’il a surmonté l’obstacle, l’esprit se meut dans ce domaine avec une aisance qu’il n’a nulle part ailleurs, l’évidence étant ici immédiate et théoriquement instantanée, l’effort pour comprendre existant le plus souvent en fait mais non pas en droit : dans tout autre ordre d’études, au contraire, il faut, pour comprendre, un travail de maturation de la pensée qui reste en quelque sorte adhérent au résultat, remplit essentiellement de la durée, et ne saurait être conçu, même théoriquement, comme instantané. Bref, nous pourrions croire à un écart entre la matière et l’intelligence si nous ne considérions de la matière que les impressions superficielles faites sur nos sens, et si nous laissions à notre intelligence la forme vague et floue qu’elle a dans ses opérations journalières. Mais quand nous ramenons l’intelligence à ses contours précis et quand nous approfondissons assez nos impressions sensibles pour que la matière commence à nous livrer l’intérieur de sa structure, nous trouvons que les articulations de l’intelligence viennent s’appliquer exactement sur celles de la matière. Nous ne voyons donc pas pourquoi la science de la matière n’atteindrait pas un absolu. Elle s’attribue instinctivement cette portée, et toute croyance naturelle doit être tenue pour vraie, toute apparence pour réalité, tant qu’on n’en a pas