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à l’esprit par ses origines ou par sa fonction, dans un cas comme dans l’autre il relève de l’intuition par tout ce qu’il contient de changement et de mouvement réels. Nous croyons précisément que l’idée de différentielle, ou plutôt de fluxion, fut suggérée à la science par une vision de ce genre. Métaphysique par ses origines, elle est devenue scientifique à mesure qu’elle se faisait rigoureuse, c’est-à-dire exprimable en termes statiques. Bref, le changement pur, la durée réelle, est chose spirituelle ou imprégnée de spiritualité. L’intuition est ce qui atteint l’esprit, la durée, le changement pur. Son domaine propre étant l’esprit, elle voudrait saisir dans les choses, même matérielles, leur participation à la spiritualité, — nous dirions à la divinité, si nous ne savions tout ce qui se mêle encore d’humain à notre conscience, même épurée et spiritualisée. Ce mélange d’humanité est justement ce qui fait que l’effort d’intuition peut s’accomplir à des hauteurs différentes, sur des points différents, et donner dans diverses philosophies des résultats qui ne coïncident pas entre eux, encore qu’ils ne soient nullement inconciliables.

Qu’on ne nous demande donc pas de l’intuition une définition simple et géométrique. Il sera trop aisé de montrer que nous prenons le mot dans des acceptions qui ne se déduisent pas mathématiquement les unes des autres. Un éminent philosophe danois en a signalé quatre. Nous en trouverions, pour notre part, davantage[1]. De ce qui n’est pas abstrait et conventionnel, mais réel et concret, à plus forte raison de ce qui n’est pas reconstituable avec des composantes connues, de la chose qui n’a pas été découpée dans le tout de la réalité par l’entendement ni par le sens commun ni par le langage, on ne peut donner une idée qu’en prenant

  1. Sans pourtant inclure dans le nombre, telles quelles, les quatre acceptions qu’il a cru apercevoir. Nous faisons allusion ici à Harald Höffding.