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férantes, qu’il chemina jusqu’au dernier moment, insoucieux de la nuit qui venait, uniquement préoccupé de bien regarder en face, au ras de l’horizon, le soleil qui laissait mieux voir sa forme dans l’adoucissement de sa lumière. Une courte maladie, qu’il négligea de soigner, l’emporta en quelques jours. Il s’éteignit, le 18 mai 1900, au milieu des siens, ayant conservé jusqu’au bout toute la lucidité de sa grande intelligence.


L’histoire de la philosophie nous fait surtout assister à l’effort sans cesse renouvelé d’une réflexion qui travaille à atténuer des difficultés, à résoudre des contradictions, à mesurer avec une approximation croissante une réalité incommensurable avec notre pensée. Mais de loin en loin surgit une âme qui paraît triompher de ces complications à force de simplicité, âme d’artiste ou de poète, restée près de son origine, réconciliant, dans une harmonie sensible au cœur, des termes peut-être irréconciliables pour l’intelligence. La langue qu’elle parle, quand elle emprunte la voix de la philosophie, n’est pas comprise de même par tout le monde. Les uns la jugent vague, et elle l’est dans ce qu’elle exprime. Les autres la sentent précise, parce qu’ils éprouvent tout ce qu’elle suggère. À beaucoup d’oreilles elle n’apporte que l’écho d’un passé disparu ; mais d’autres y entendent déjà, comme dans un rêve, le chant joyeux de l’avenir. L’œuvre de M. Ravaisson laissera derrière elle ces impressions très diverses, comme toute philosophie qui s’adresse au sentiment autant qu’à la raison. Que la forme en soit un peu vague, nul ne le contestera : c’est la forme d’un souffle ; mais le souffle vient de haut, et nette en est la direction. Qu’elle ait utilisé, dans plusieurs de ses parties, des matériaux anciens, fournis en particulier par la philo-