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reste viendra par surcroît. En partant du géométrique, on peut aller aussi loin qu’on voudra dans le sens de la complication sans se rapprocher jamais des courbes par lesquelles s’exprime la vie. Au contraire, si l’on commence par ces courbes, on s’aperçoit, le jour où l’on aborde celles de la géométrie, qu’on les a déjà dans la main.

Nous voici donc en présence de la première des deux thèses développées dans le Rapport sur la philosophie en France : du mécanique on ne peut passer au vivant par voie de composition ; c’est bien plutôt la vie qui donnerait la clef du monde inorganisé. Cette métaphysique est impliquée, pressentie et même sentie dans l’effort concret par lequel la main s’exerce à reproduire les mouvements caractéristiques des figures.

À son tour, la considération de ces mouvements, et du rapport qui les lie à la figure qu’ils tracent, donne un sens spécial à la seconde thèse de M. Ravaisson, aux vues qu’il développe sur l’origine des choses et sur l’acte de « condescendance », comme il dit, dont l’univers est la manifestation.

Si nous considérons, de notre point de vue, les choses de la nature, ce que nous trouvons de plus frappant en elles est leur beauté. Cette beauté va d’ailleurs en s’accentuant à mesure que la nature s’élève de l’inorganique à l’organisé, de la plante à l’animal, et de l’animal à l’homme. Donc, plus le travail de la nature est intense, plus l’œuvre produite est belle. C’est dire que, si la beauté nous livrait son secret, nous pénétrerions par elle dans l’intimité du travail de la nature. Mais nous le livrera-t-elle ? Peut-être, si nous considérons qu’elle n’est, elle-même, qu’un effet, et si nous remontons à la cause. La beauté appartient à la forme, et toute forme a son origine dans un mouvement qui la trace : la forme n’est que du mouvement enregistré. Or, si nous nous demandons