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proprement dites à prendre conscience de leur portée véritable, souvent très supérieure à ce qu’elles s’imaginent. Elle mettrait plus de science dans la métaphysique et plus de métaphysique dans la science. Elle aurait pour résultat de rétablir la continuité entre les intuitions que les diverses sciences positives ont obtenues de loin en loin au cours de leur histoire, et qu’elles n’ont obtenues qu’à coups de génie.

IX. Qu’il n’y ait pas deux manières différentes de connaître à fond les choses, que les diverses sciences aient leur racine dans la métaphysique, c’est ce que pensèrent en général les philosophes anciens. Là ne fut pas leur erreur. Elle consista à s’inspirer de cette croyance, si naturelle à l’esprit humain, qu’une variation ne peut qu’exprimer et développer des invariabilités. D’où résultait que l’Action était une Contemplation affaiblie, la durée une image trompeuse et mobile de l’éternité immobile, l’Âme une chute de l’Idée. Toute cette philosophie qui commence à Platon pour aboutir à Plotin est le développement d’un principe que nous formulerions ainsi : « Il y a plus dans l’immuable que dans le mouvant, et l’on passe du stable à l’instable par une simple diminution. » Or, c’est le contraire qui est la vérité.

La science moderne date du jour où l’on érigea la mobilité en réalité indépendante. Elle date du jour où Galilée, faisant rouler une bille sur un plan incliné, prit la ferme résolution d’étudier ce mouvement de haut en bas pour lui-même, en lui-même, au lieu d’en chercher le principe dans les concepts du haut et du bas, deux immobilités par lesquelles Aristote croyait en expliquer suffisamment la mobilité. Et ce n’est pas là un fait isolé dans l’histoire de la science. Nous estimons que plusieurs des grandes découvertes, de celles au moins qui ont transformé les sciences positives ou qui en