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térées de notre pensée. Nous nous installons d’ordinaire dans l’immobilité, où nous trouvons un point d’appui pour la pratique, et nous prétendons recomposer la mobilité avec elle. Nous n’obtenons ainsi qu’une imitation maladroite, une contrefaçon du mouvement réel, mais cette imitation nous sert beaucoup plus dans la vie que ne ferait l’intuition de la chose même. Or, notre esprit a une irrésistible tendance à considérer comme plus claire l’idée qui lui sert le plus souvent. C’est pourquoi l’immobilité lui paraît plus claire que la mobilité, l’arrêt antérieur au mouvement.

Les difficultés que le problème du mouvement a soulevées dès la plus haute antiquité viennent de là. Elles tiennent toujours à ce qu’on prétend aller de l’espace au mouvement, de la trajectoire au trajet, des positions immobiles à la mobilité, et passer de l’un à l’autre par voie de composition. Mais c’est le mouvement qui est antérieur à l’immobilité, et il n’y a pas, entre des positions et un déplacement, le rapport des parties au tout, mais celui de la diversité des points de vue possibles à l’indivisibilité réelle de l’objet.

Beaucoup d’autres problèmes sont nés de la même illusion. Ce que les points immobiles sont au mouvement d’un mobile, les concepts de qualités diverses le sont au changement qualitatif d’un objet. Les concepts variés en lesquels se résout une variation sont donc autant de visions stables de l’instabilité du réel. Et penser un objet, au sens usuel du mot « penser », c’est prendre sur sa mobilité une ou plusieurs de ces vues immobiles. C’est, en somme, se demander de temps à autre où il en est, afin de savoir ce qu’on en pourrait faire. Rien de plus légitime, d’ailleurs, que cette manière de procéder, tant qu’il ne s’agit que d’une connaissance pratique de la réalité. La connaissance, en tant qu’orientée vers la pratique, n’a qu’à énumérer les principales attitudes